Hands, needle and glucometer for blood test in home with woman, machine and healthcare check. Diabetes patient, sugar level and poke in finger for medical self care, wellness and health progress

Sur la délocalisation des analyses de laboratoire…

Auteur: Raymond Lepage, Ph.D, Vulgarisateur scientifique, Biron Groupe Santé, Brossard, QC


 

Souffrez-vous de fibrillation auriculaire?

J’ai été pas mal déconcerté par une publicité apparue à la télévision il y a quelques mois présentant un mini-appareil d’électrocardiographie permettant à tous et chacun de se faire des ECG à volonté dans leur milieu de vie.    Dans cette (très) mauvaise publicité américaine traduite à la va-vite, le gueulard de service demandait à des passants « sélectionnés au hasard » s’ils connaissaient la fibrillation auriculaire, leur indiquant qu’ils en souffraient peut-être, que c’est la cause principale des AVC, que c’est dangereux et, en cas d’ECG positif, qu’ils devraient transférer rapidement les tracés d’ECG à leur médecin. Bonne chance au Québec!  Le tout était évidemment possible grâce au BLABLABLA Mobile, en vente pour moins que le prix d’un plein d’essence!  Ce n’est qu’un parmi des centaines de nouveaux appareils mobiles, le plus souvent couplés avec un téléphone portable et qui peuvent être utilisés pour une série d’auto-diagnostiques allant de la fibrillation auriculaire déjà décrite au diagnostic probable d’un mélanome.

Ça fait plus d’un an que je souhaitais consacrer au moins une partie des Actualités aux analyses de type Point-of-care.  Excusez pour ce terme anglais que je trouve cependant plus descriptif que celui « d’analyse délocalisée » ou encore « d’ADBD » transformé récemment en sa version « EBMD », un acronyme obtus de plus dans la longue liste de notre MSSS et de ses CIUSS.   C’est évident, qu’EBMD est beaucoup plus clair qu’ADBD!

Mon intérêt récent dans les analyses réalisées par les patients eux-mêmes s’est évidemment accru avec la distribution quasi-illimitée de trousses-maison pour l’autodiagnostic des antigènes du SARS-CoV-2 par les gouvernements dans le contexte de la récente pandémie de COVID-19.  J’ai moi-même utilisé les produits disponibles (de deux manufacturiers différents) à quelques reprises en me « pinçant le nez », au propre comme au figuré à chaque fois.

Les biochimistes cliniques, les technologistes médicales et bien d’autres spécialistes de laboratoire rompus aux inspections du BNQ et l’application de normes ISO et CAN/CSA en ont fait probablement autant.  Et pourtant, malgré toutes les limitations que l’on pouvait craindre pour l’utilisation de ces tests dans des mains inexpérimentées, les résultats au niveau populationnel semblent plutôt acceptables, en particulier, et sans surprise, pour les individus symptomatiques.  C’est du moins l’opinion de la Dre. Nitika Pant Pai du Centre de recherche du Centre universitaire de santé McGill qui a publié en février dernier dans PLOS Global Public Health les résultats d’une méta-analyse sur ce sujet (1).

Selon la Dre Pant Pai, « (les résultats) montrent que l’autodépistage est un outil efficace pour prévenir la transmission du SRAS-COV-2 et suggèrent qu’il a contribué à contrôler les éclosions et à limiter la transmission, en plus de permettre la poursuite du travail pendant la pandémie » Et elle souhaite qu’ « À l’avenir, les agences de santé publique et les gouvernements ne devraient pas hésiter à investir dans des stratégies d’autodépistage précises, rapides, portables et peut-être améliorées grâce à des outils numériques, comme des applications, des sites web et des instructions vidéo, et ce, non seulement pour les virus respiratoires, mais aussi pour les agents pathogènes non respiratoires ».

 

Une longue histoire

D’aussi loin que je me souvienne, les biochimistes cliniques et autres professionnels de laboratoire se sont vivement opposés à la délocalisation des analyses de laboratoire, que ce soit à l’intérieur des établissements de santé ou dans le grand public.  Je me souviens de notre indignation collective lors de l’arrivée des détecteurs de glucose » dans les années 1970, les premiers appareils permettant de mesurer hors-laboratoire, autre chose que des composants urinaires sur bandelettes (glucose) ou comprimés (corps cétoniques) réactifs.  Et il y avait de quoi!  Les premiers « Dextrometers » étaient d’utilisation pas mal plus complexe que les modèles électrochimiques actuels et impliquaient, en plus d’un échantillon volumineux, des étapes de rinçage et d’épongeage de la zone réactive suivi d’un chronométrage de la réaction et d’une lecture optique, le tout, sans aucune mesure de contrôle de qualité.   Comme nous pouvons tous le constater, nos objections professionnelles n’ont pas eu le succès escompté, sauf peut-être sur l’obligation, plusieurs années plus tard, d’instaurer un programme d’assurance qualité complet…mais apparemment pas pour tous…

Permettez-moi de ressortir deux articles parus il y a deux ans dans la Presse Plus sur les analyses délocalisées que j’avais lus alors, le sourire (du retraité) aux lèvres. Dans le premier (3), des omnipraticiens se plaignaient d’avoir à subir une re-certification annuelle pour pouvoir effectuer des tests de grossesse, des analyses d’urine, des strepto-directs et autres analyses délocalisées à raison d’une heure de formation par analyse!

Cette exigence découlait évidemment du déploiement d’Optilab combiné aux normes applicables de l’accréditation ISO pour les analyses délocalisées dans les 12 grappes de service du MSSS. Surprise (?), cette obligation a été très rapidement levée moins de 2 semaines après la publication de l’article original (4).

 

De tout, pour tous…

Les sites WEB fournissent des centaines d’exemples de tests de type POCT réalisables à domicile dans à peu près tous les domaines de la médecine. Il est probablement impossible d’endiguer le phénomène alors que tous ces produits peuvent être acheminés par la poste régulière ou par les Amazon de ce monde. Entretemps, je suis toujours étonné par l’inventivité de l’industrie du POCT.

J’ai rapidement fouillé le web à la recherche d’auto-tests disponibles au grand public :  En voici une série, forcément partielle!

 

Maladies infectieuses : Infections urinaires, influenza, Strepto A, Syphilis, VIH, COVID-19, chlamydia et gonorrhée, maladie de Lyme, etc.

Santé de la femme : Tests de grossesse, de détection de liquide amniotique, d’ovulation, de ménopause, œstrogènes, progestérone, alcool dans le lait maternel, etc.

Coagulation  INR/RNI

Métabolisme : glucose, corps cétoniques, cholestérol, triglycérides, Vitamine D

Cancers : PSA, Sang dans les selles

Toxico : Barbituriques, benzodiazépines, antidépresseurs tricycliques, oxycodone, amphétamines, Ecstasy, cocaïne, cannabinoïdes, opiacés totaux, fentanyl, xylazine, méthadone, buprénorphine, phencyclidine, etc.

 

Au niveau des dispositifs électroniques :

Tension artérielle

Électrocardiogramme

Pouls

Tension d’oxygène

Apnée du sommeil

Spiromètres

 

Un domaine sans limites?      

Sur une note plus légère (à gravité spécifique faible?), je me suis amusé en lisant dans ZME Science un article sur une des dernières propositions d’analyses délocalisées directement dans la cuvette des toilettes (acronyme à définir… (5).

La compagnie française Withings déjà connue pour ses montres et balances connectées a en effet mis en marché sa ligne de produits U-Scan qui permet d’analyser une série de constituants urinaires directement dans la cuvette des toilettes. Un petit dispositif de 90 mm est installé en permanence dans la cuvette et activé au contact d’une urine fraîchement émise. Une micro-pompe activée par la chaleur de l’urine prélève le volume de spécimen adéquat qui sera analysé optiquement et les résultats transmis à un téléphone intelligent (6).

Le U-Scan Nutri Balance fournit des résultats pour différents éléments nutritifs, les gras, la Vitamine C, le pH et le taux de corps cétoniques. Le U-Scan Cycle Sync fournit le taux de différentes hormones (FSH et LH) pour aider à préciser le cycle menstruel. Beaucoup d’autres applications sont dans le pip(i)line…

On ne peut définitivement pas flusher le progrès! Sur ce, bon été à tous.

  1. Anand, F. Vkialard, A. Esmail, F.A. Khan, et coll. « Self-tests for COVID-19: What is the evidence? A living systematic review and meta-analysis (2020–2023)  7 février 2024. Plos Global Public health.  https://doi.org/10.1371/journal.pgph.0002336.
  2. Centre universitaire de Santé McGill/ Actualités. Les tests rapides de COVID-19 : Que valent-ils vraiment? 9 février 2024. https://cusm.ca/nouvelles-et-histoires/nouvelles/les-tests-rapides-de-covid-19-que-valent-ils-vraiment.
  3. Dussault. Des médecins formés… pour des tests de grossesse. La Presse Plus, 19 août 2022. Consulté en ligne le 20220819.
  4. Larin. Les médecins exemptés d’une formation annuelle. La Presse Plus. 30 août 2022. Consulté en ligne le 20220830.
  5. Andrej. “This toilet company wants to put a $500 laboratory in your toilet bowl”. ZME Science 22 février 2023. https://www.zmescience.com/medicine/this-toilet-company-wants-to-put-a-500-laboratory-in-your-toilet-bowl/ consulté le 2023/03/15.
  6. Le premier laboratoire connecté d’analyse d’urine à domicile, non invasif. https://www.withings.com/ca/fr/