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Alzheimer et Wokisme

Auteur: Raymond Lepage, Ph.D, Vulgarisateur scientifique, Biron Groupe Santé, Brossard, QC


 

De la mémoire cellulaire à la mémoire tout court : traitement de la maladie d’Alzheimer.

 

La fin de l’année 2022 a été marquée en neurologie  par un événement spectaculaire : l’approbation du lecanemab par le FDA américain d’un deuxième médicament, mais apparemment le premier qui serait réellement efficace dans le traitement de la maladie d’Alzheimer.

Une étude publiée en ligne dans le New England Journal of Medicine le 29 novembre dernier rapportait les résultats « intéressants » d’un nouveau traitement de la maladie d’Alzheimer à l’aide d’un anticorps monoclonal anti-protéine bêta-amyloïde.  L’étude menée sur 1800 patients pendant 18 mois a démontré une diminution de 27% du déclin cognitif des individus traités, tous au stade précoce de la maladie.  La définition du déclin était basée sur des questionnaires sériés concernant la mémoire des individus et leurs capacités fonctionnelles.  Le nouveau médicament est le deuxième approuvé par le FDA après l’Adulhem l’année précédente en vertu de sa politique d’approbation accélérée de médicaments pour des maladies sévères basée sur des critères de substitutions (surrogate endpoints).

Contrairement à l’Adulhem (aducanumab), le lecanemab serait donc le premier à montrer autre chose qu’une seule diminution des dépôts de protéine bêta-amyloïde. De quoi encourager sinon réjouir le milieu pharmaceutique (et ses investisseurs) en ébullition depuis plusieurs années pour trouver des médicaments toujours plus efficaces dans le traitement de l’Alzheimer.

Traitements approuvés

En attendant l’émergence de nouveaux médicaments performants, les médecins ne pouvaient qu’utiliser des produits capables d’alléger au moins une partie des symptômes de la maladie (fonction mentale, changements de comportement).  Parmi ceux-ci on retrouve des médicaments qui limitent la perte d’acétylcholine (donezepil, galantamine, rivastigmine) ou encore la memantine, un agent neuroprotecteur Via Société Alzheimer.

Depuis une vingtaine d’année, à coup de milliards de dollars, l’industrie pharmaceutique a quasi-exclusivement ciblé la protéine bêta-amyloïde dont les dépôts sont étroitement associés au développement des symptômes de la maladie. En arrivant à se débarrasser de la protéine bêta-amyloïde avant qu’elle ne forme des dépôts, on pourrait théoriquement ralentir la progression de la maladie.  Quatre de ces médicaments sous forme d’anticorps monoclonaux anti-bêta-amyloïde se sont partagés la vedette dernièrement.

Aducanumab (Adulhem)

Approuvé par le FDA américain en 2021, mais dans la confusion.  Cet anticorps montrait une réduction des plaques amyloïdes dans le cerveau (le « surrogate endpoint ») mais aucune réduction dans le développement des symptômes de la maladie (le vrai endpoint!).  La confusion vient du fait que 9 des 10 scientifiques qui conseillaient le FDA à ce sujet étaient opposés à son adoption.  Le coût élevé de l’Adulhem (plus de 50 000 $ par année) et le refus des autorités sanitaires américaines de le rembourser dans leurs programmes sociaux ont certes contribué au peu d’intérêt pour ce médicament.

Genterenumab 

À la fin de novembre 2022, le genterenumab de Roche s’est avéré totalement inutile avec des réductions trop faibles (moins de 10%) des symptômes cognitifs et fonctionnels de la maladie.

Donanemab

On attend avec impatience la publication officielle des résultats d’une autre étude impliquant cette fois-ci le donanemab d’Ely Lilly.  Des résultats préliminaires ont montré une diminution de 65,2% des niveaux de plaque amyloïde dans le cerveau après 6 mois de traitement comparativement à seulement 17% pour l’Adulhem.  La publication des résultats complets incluant tout effet éventuel du traitement sur le ralentissement des capacités cognitives est prévue d’ici le printemps 2023.

Retour sur le lecanemab

Approuvé à la fin de 2022, le lecanemab/LEQEMBI de ESAI/Biogen peut être utilisé seulement chez les individus qui n’ont pas atteint un stade avancé de la maladie.  Il est proposé sous forme d’injections intra-veineuses aux 2 semaines.  En plus du coût (réduit de 46 000$ à 25 000$ par année pour faciliter son implantation), il faut ajouter tous les autres coûts associés au diagnostic et au suivi (imagerie, mesure des protéines dans le liquide céphalorachidien et éventuellement dans le sang, etc.).  La mise en place de programmes d’injection par intra-veineuse aux 2 semaines pour chaque patient représente un défi de taille pour nos systèmes de santé déjà surchargés.  Sans oublier que tous ces traitements à base d’anticorps sont associés à un risque accru d’accident vasculaire cérébral chez 15% des patients traités.  Ce risque est même plus élevé lorsque le gène apoE4 est présent, soit chez la moitié des patients!  Le suivi de la santé des vaisseaux sanguins du cerveau nécessite quant à lui un scan cérébral à toutes les 2 semaines.

Depuis une vingtaine d’années, plus de 200 essais cliniques se sont avérés négatifs pour le traitement de la maladie d’Alzheimer!  Il n’est pas impossible que la solution vienne effectivement de l’utilisation d’anticorps anti-bêta-amyloïde avec de meilleures caractéristiques.  IL faut rappeler que le lecanemab, le meilleur d’entre eux à date montre une diminution statistique mais très modeste du déclin cognitif, pas nécessairement cliniquement significative pour les individus traités et leurs proches.  Et si la théorie (le dogme) des dépôts de protéine bêta-amyloïde comme cause de la dégénérescence n’était pas la bonne ou encore incomplète?  Un effet des désordres sous-jacents plutôt que leur cause?

Plusieurs études intéressantes  publiées au cours des années semblent démontrer que la théorie des plaques amyloïdes est effectivement incomplète.  Il serait trop long d’énumérer ici les différentes études qui semblent impliquer tour à tour des désordres du fonctionnement du système endosome-lysosome, les cellules gliales, le système immunitaire et l’inflammation, le métabolisme du cholestérol, etc. Lisez l’article.   Il n’est donc pas impossible que le traitement de la maladie d’Alzheimer doive compter non seulement sur des traitements anti-protéine bêta-amyloïde mais sur des traitements alternatifs ou encore une combinaison de traitements.

 

Le « wokisme » en médecine?

 

En novembre dernier, le FDA s’inquiétait (à juste titre) de la qualité des oxymètres mis en marché aux États-Unis, et en particulier de leur mauvais fonctionnement lorsque la peau des individus est foncée Lisez l’article.  Ce n’est certainement pas une surprise pour tous ceux d’entre nous qui ont eu à évaluer les bilirubinomètres transcutanés dont les premiers modèles sont apparus dans les années 1980-1990.  J’aurais laissé le sujet de côté si d’autres articles « associés » à la couleur de la peau et la race n’étaient apparus en 2021/22.

J’avais d’abord sourcillé lorsque la nouvelle était sortie dans le New England Journal en novembre 2021 :  une nouvelle équation pour le eGFR éliminait le facteur de correction pour la race qui était inclus dans l’équation en usage depuis des dizaines d’années.  Mon premier réflexe de boomer a été « Et puis quoi : à quand des valeurs de référence non-genrées?

Si ma mémoire est bonne (voir le sujet précédent…), l’inclusion du facteur de correction dans l’équation du eGFR provenait d’études cliniques originales montrant que les individus s’identifiant comme des afro-américains présentaient des taux de créatinine sérique plus élevés que ceux provenant de la population non-afro-américaine, essentiellement dû, assumait-on, à une masse musculaire plus élevée.An oximeter on the finger of an African American patient in bed   Or, selon les auteurs de l’article et plusieurs autres groupes, la notion de race dans le calcul du eGFR serait strictement un concept social (« social construct »), mais pas une réalité biologique pouvant tenir compte qu’il existe autant de diversité à l’intérieur d’une même race qu’entre les différentes races.  L’utilisation de tels algorithmes incluant la race peut par ailleurs contribuer au racisme systémique en médecine.  Si la race est un concept social, la couleur de la peau, elle, serait une réalité biologique propre à chaque individu, indépendante de sa race, mais capable d’affecter tous les dispositifs de lecture basés par exemple sur la transluminescence cutanée (bilirubine, O2, CO2, saturation en O2, et autres à venir…).

 

La conséquence de considérer comme « normaux » des taux de créatinine sanguine plus élevés chez les afro-américains est assez évidente : un manque de sensibilité pour détecter le début d’une insuffisance rénale chez tous les individus dont la masse musculaire n’est pas différente de l’homme blanc moyen.  Or, les études épidémiologiques indiquent une disproportion d’atteintes rénales dans la communauté noire américaine ou un retard moyen de 2 ans avant d’être admis comme receveurs potentiels de greffes rénales Lisez l’article et il n’est pas impossible que la correction du eGFR pour la race y contribue.

Et comme si ce n’était pas suffisant, un néphrologue américain émérite est lui-même tombé en disgrâce en 2022 pour cause de racisme Lisez l’article.  Et ce n’est pas n’importe qui :  le Dr. Stanley Goldfarb, ex-codirecteur du service « Électrolytes rénaux et hypertension à l’Université de Pennsylvanie, et surtout Éditeur en chef de la division néphrologie du très réputé UptoDate!  Et ce n’est pas une erreur de parcours!  S. Goldfarb a agi pendant plusieurs années comme un critique vocal agressif « antiwoke ».  Selon lui, les déterminants sociaux (santé, race, genres, environnement, contrôle des armes à feu, etc.) n’ont pas leur place en médecine et les étudiants feraient beaucoup mieux de se concentrer sur la physiologie et la biochimie Lisez l’article.  Le titre d’un des articles publié dans Wall Street Journal parle par lui-même  « Take Two Aspirins and Call Me by My Pronouns ».  Inutile d’ajouter que Goldfarb est opposé à la modification de l’équation du eGFR annulant la correction pour la race : son opinion : c’est céder devant la meute woke (« giving to the woke crowd) ».  Tout comme son opinion que les résidents provenant des groupes sous-représentés en médecine sont probablement de moins bons résidents…Via Do No Harm Medicine.