Auteur: Raymond Lepage, Ph.D, Vulgarisateur scientifique, Biron Groupe Santé, Brossard, QC
Attendez que je me souvienne…
Parmi toutes les lectures au cours des derniers mois, j’en ai retenu trois qui, pour diverses raisons ont réveillé de vieux souvenirs remontant aux années 1970-1980.
Les cellules HeLa
La première concerne la conclusion hors cour en août dernier, d’une poursuite entre les enfants d’Henrietta Lacks et la compagnie Thermofisher à propos de l’enrichissement de la compagnie depuis plus de 70 ans avec les célèbres cellules HeLa provenant de leur mère (1).
Un peu d’histoire
Les cellules Hela constituent la toute première lignée de cellules humaines immortelles. Ces cellules se multiplient en culture, à peu près à toutes les 24 heures depuis plus de 70 ans, soit depuis qu’un médecin ait prélevé et mis en culture, sans la permission de madame Lacks, un échantillon de métastases provenant de son cancer du col. Ces cellules ont été utilisées dans toutes sortes de recherches physiologiques et médicales dont le développement de vaccins comme celui contre la poliomyélite et de médicaments. Elles ont été envoyées dans l’espace pour étudier les effets de l’apesanteur et soumises à des radiations ou encore ont été à la base des premières techniques pour congeler des cellules sans les abîmer (2). Elles constituaient un modèle de cellules cancéreuses fort prisé à l’Institut du cancer de Montréal où j’effectuais mes études doctorales. On estime que des milliers de chercheurs à travers le monde ont utilisé les cellules Hela dans leur recherche menant à plus de 110 000 publications et 56 000 brevets de toutes sortes. L’utilisation des cellules Hela a été primordiale dans l’obtention de plusieurs prix Nobel dont celui en physiologie et médecine de 2008 sur la capacité de virus dont le VPH à causer des cancers, et celui de 2009 sur le rôle des télomérases dans la protection contre la dégradation des chromosomes, sans oublier celui de chimie de 2014 sur le développement de techniques microscopiques permettant d’étudier la division cellulaire en temps réel in vivo. Au début des années 1970, on estimait déjà que plus de 50 millions de tonnes de cellules Hela avaient été utilisées (3)! Et tout ça, sans que la famille de Madame Lacks ne touche un seul cent de droits!
Une première poursuite avait été intenté par les 5 enfants de madame Lacks en 2013, juste après la publication par un groupe allemand du génome complet des cellules HeLa (4). La famille craignait, à juste titre, que certaines informations génétiques rendues publiques ne respectaient pas leur vie privée en tant qu’individus identifiables. Cette contestation fut suivie par une entente entre la famille et le NIH en août 2013 (5). Les détails de la structure des gènes furent retirés des banques de données et dorénavant, les chercheurs devaient demander la permission avant de pouvoir les consulter. Des représentants de la famille étaient par la suite consultés sur l’évolution des projets de recherche utilisant les cellules de leur célèbre mère. À noter qu’aucune compensation financière ne faisait partie de l’entente.
Les détails financiers de l’entente sont demeurés secrets et comme il s’agit d’une entente hors cour, un juge ne s’est pas prononcé sur la validité de la poursuite. En effet, celle-ci dépassait de beaucoup la règle concernant l’utilisation de tissus sans permission qui veut qu’une telle poursuite soit intentée dans les trois ans après la découverte du fait. Tout ça porte à croire que ThermoFisher ne se sentait pas complètement dans son droit pour vouloir éviter une éventuelle décision judiciaire. Est-il besoin de rappeler que Madame Lacks provenait d’une pauvre famille afro-américaine de Virginie, et que la crainte de ressortir un épisode à connotation raciale a probablement joué dans la décision de Thermofisher. Un film dont j’ignorais l’existence a été tourné en 2017 relatant les déboires de Madame Lacks et de sa famille (The Immortal Life of Henrietta Lacks) avec Oprah Winfrey dans le rôle titre!
Et le nerf vague
Je me souviens que pendant les années 1970, la vagotomie était une technique de choix pour le traitement des ulcères duodénaux. Une dizaine d’années avant la découverte d’Helicobacter pylori et des inhibiteurs de la pompe à proton dans les années 1980, la médecine ne disposait pas de beaucoup d’options pour aider au traitement des cas les plus graves. Signe d’une autre époque, l’ulcère de l’estomac était considéré alors comme une maladie « d’hommes d’affaire », situation historiquement « stressante », s’il en est! On sait aujourd’hui qu’Helicobacter pylori a peu à voir avec le sexe (quoique l’infection touche environ 10 à 15% plus d’hommes que de femmes) et certainement pas avec le milieu des affaires mais plutôt très probablement avec les risques cumulés d’exposition aux antibiotiques (6).
C’est le titre d’un article publié le 23 août dernier dans le Guardian, réputé journal britannique qui m’a intrigué : The key to depression, obesity, alcoholism – and more? Why the vagus nerve is so exciting to scientists (7). L’article s’arrête surtout aux nombreuses applications plus ou moins (moins que plus…) efficaces disponibles sur le Web pour stimuler le nerf vague, autoroute importante de communication entre le cerveau, les poumons et tout le système digestif. Livres, stimulateurs électriques et pendentifs vibrants, des centaines de produits et recettes sont disponibles. Si vous êtes intéressé.e.s, l’immersion dans un bain de glace semble efficace…
La partie plus sérieuse de l’article du Guardian fait état de nombreuses recherches menées sur la stimulation du nerf vague et son effet sur différentes pathologies. Plusieurs hôpitaux québécois offre d’ailleurs l’implantation d’un stimulateur électrique du nerf vague dans le traitement de l’épilepsie et de la dépression alors que la célèbre clinique Mayo aux États-Unis laisse entrevoir d’autres applications dans les maladies inflammatoires comme l’arthrite rhumatoïde et les maladies inflammatoires de l’intestin, les désordre bipolaires, la céphalée de Horton (cluster headache), les migraines, la réhabilitation post-AVC des mouvements du bras ou de la main, et même la maladie d’Alzheimer(8).
Mais le lien que je cherchais était plutôt entre les mots « obésité » et « nerf vague » apparaissant dans le titre de l’article, le tout alors qu’il y a un intérêt soudain pour la nouvelle génération de médicaments amaigrissants comme le sémaglutide (Ozempic) et autres agonistes du GLP-1 (glucagon-like peptide-1). Si les mécanismes du sémaglutide, un médicament destiné à l’origine au traitement du diabète pour abaisser la glycémie sont bien identifiés, l’effet amaigrissant, pour sa part, serait en bonne partie dû à un effet direct du GLP-1 sur la sensation de satiété. De nombreuses études montrent que le nerf vague a une importance essentielle dans ce mécanisme (9). Certains auteurs décrivent presque les effets des agonistes de GLP-1 comme une « vagotomie » médicamenteuse (10). Et cette vagotomie n’aura pas besoin d’être totale :
Très récemment, un groupe de chercheurs américains a démontré que l’activation neuronale des graisses brunes passait spécifiquement par le 3e et 4e nerf cervical, très près des réserves les plus importantes de graisses brunes dans l’organisme qui sont situées dans le cou. La localisation très précise de cette innervation pourrait permettre de développer d’autres approches au traitement de l’obésité (11).
Si la découverte d’Helicobacter pylori et des IPPs dans les années 1980 a marqué la fin de la vagotomie dans le traitement de la majorité des ulcères duodénaux, certains commencent déjà à se demander si l’arrivée dans l’arsenal médicamenteux d’agonistes GLP-1 ne marquerait pas à son tour la fin des chirurgies bariatriques (12)!
Et la troisième, en direct du cosmos
Pendant une quinzaine d’années, j’ai été responsable du cours d’introduction à la biochimie offert par l’Université de Montréal aux étudiants en biologie et autres programmes. Mon premier cours portait toujours sur les éléments constituant la vie sur terre et sur les hypothèses d’Oparin et Haldane qui suggéraient il y a un siècle que la vie provenait à l’origine de molécules inorganiques. Sans oublier les célèbres expériences de Miller et Urey en 1953 qui ont réussi à recréer dans un ballon les conditions existant possiblement sur la terre il y a plusieurs milliards d’années en soumettant un mélange de méthane, d’ammoniac, d’hydrogène et d’eau à des décharges électriques pendant 7 jours. Ils ont trouvé dans leur « soupe primordiale » plusieurs briques de la matière vivante dont de l’urée, du formaldéhyde, de l’acide cyanhydrique, des bases et des acides aminés! Il y a eu par la suite toutes sortes de critiques précisant les limitations des expériences de Miller et Urey, en particulier, les possibilités de contamination externe et la présence et la concentration relative des gaz qui ont été utilisés. (13).
L’apparition de l’eau à la base de la création des océans fait également toujours problème. Est-ce qu’elle était déjà produite lors du dégazage initial de la terre ou serait apparue plus tardivement via le bombardement par des petits corps planétaires. Grosse nouvelle au début d’octobre alors que la NASA révélait qu’un fragment de l’astéroïde Bennu ramené sur terre après plus de 7 ans de pérégrination de la sonde Osiris-Rex contenait une forte quantité de carbone et d’eau! (14). L’hypothèse selon laquelle l’eau aurait été amenée sur terre via des millions d‘années de bombardement par des astéroïdes de la même nature que l’astéroïde Bennu s’en trouve renforcie. Un autre élément dans la compréhension de l’arrivée de la vie sur terre, et possiblement ailleurs… Je me souviens que je terminais toujours mon premier cours en signalant aux futures biologistes qu’ils auraient possiblement le privilège d’étudier l’astrobiologie. Je ne pensais pas qu’on y serait si vite!
Références
- Meredith Wadman. What does the historic settlement won by Henrietta Lack’s family mean for others. Science, 7 août 2023. Consulté le 13 octobre 2023.
- NIH. Significant Research Advances Enabled by HeLa Cells. https://osp.od.nih.goov/hela-cells/significant-research-advances-enabled-by-hela-cells/#1960s. Consulté le 13 octobre 2023.
- Martine Perez. Pourquoi les cellules d’Henrietta Lacks sont immortelles. Le Figaro, 13 août 2013. https://www.lefigaro.fr/sciences/2013/08/12/01008-20130812ARTFIG00342-pourquoi-les-cellules-d-henrietta-lacks-sont-immortelles.php. Consulté le 13 octobre 2023.
- J. M. Landry, P.T. Pyl. T.Rausch, T. Zichner et coll. The Genomic and Transcriptomic Landscape of a HeLa Cell Line. G3 (Bethesda). 2013 Aug; 3(8): 1213–1224. Consulté le 13 octobre 2023.
- K.L. Hudson. Family matters. Nature. 2013 Aug 8; 500(7461): 141–142. Consulté le 13 octobre 2023.
- C. Martel, J. Parsonnet. Helicobacter pylori infection and gender: a meta-analysis of population-based prevalence surveys. Dig Dis Sci. 15 déc 2006; 51(12):2292-301.Consulté le 20 octobre 2023.
- L. Geddes. The key to depression, obesity, alcoholism – and more? Why the vagus nerve is so exciting to scientists. The Guardian. 23 août 2023. Consulté le 20 octobre 2023.
- Mayo Clinic. Vagus nerve stimulation. Consulté le 13 octobre 2023.
- D.I. Brierley, G. de Lartigue. Reappraising the role of the vagus nerve in GLP-1-mediated regulation of eating Daniel I. Brierley, Guillaume de Lartigue. British Journal of Pharmacology. Volume 179, Issue 4p. 584-599 29 juin 2021. Consulté le 20 octobre 2023.
- S. Mori, R.S. Beyer, B. B.de Souza, J.M. Sorg et coll. “Sympathetic innervation of the supraclavicular brown adipose tissue: A detailed anatomical study.” PLoS One. 4 octobre 2023, Vol18(10): e0290455. Consulté le 20 octobre 2023.
- E. Roh et K.M. Choi. Hormonal Gut–Brain Signaling for the Treatment of Obesity. Int J Mol Sci. Février 2023, 24(4): 3384. Consulté le 20 octobre 2023.
- A.L. Peters, M.A. Burch Do New Weight Loss Meds Mean the End of Bariatric Surgery? Medscape, 28 septembre 2023. Consulté le 20 octobre.
- Expérience de Miller-Urey. Wikipedia. Consulté le 21 octobre 2023.
- M. Avila L’astéroïde Bennu contient de l’eau et du carbone. Le Devoir 11 octobre 2023. Consulté le 21 octobre 2023.