Old clock hanging on a chain on the background of old books.  lock as a symbol of time a books are a symbol of knowledge.. Concept on the theme of history, nostalgia, culture.

Histoire de la biochimie clinique au Québec. Une vision personnelle – Partie 2

Auteur: Raymond Lepage, Ph.D, Vulgarisateur scientifique, Biron Groupe Santé, Brossard, QC


 

Un boycottage historique

Les scientifiques n’ont pas la réputation d’être agressifs dans leurs revendications, ce qui combiné à leur petit nombre dans le grand réseau de la Santé ne favorise définitivement pas un rapport de force acceptable lors des négociations.  Devant la difficulté à se faire entendre, les responsables de l’ABHQ mobilisaient en 1989 les biochimistes cliniques pour un boycottage de l’implantation des unités S.I. dans les hôpitaux du Québec.  Cette implantation ne pouvait évidemment se faire sans la collaboration des biochimistes cliniques, et sans le laboratoire, toute l’implantation dans le réseau hospitalier était gelée.  Ce ne sont pas tous les biochimistes cliniques qui ont « osé » poser le geste.  Selon mes souvenirs, le boycott a duré quelques semaines et a été levé par les officiers syndicaux dès qu’ils ont senti une certaine sympathie à l’égard des biochimistes cliniques et de leurs représentants.

Même si tous les vœux des biochimistes cliniques ne sont pas encore exaucés (projet Optilab, projet de Loi 15 (2023)) les actions des divers intervenants, principalement de l’ABCQ ont abouti à la situation actuelle où, du moins jusqu’à l’entrée en vigueur d’un éventuel projet de Loi qui tentera à nouveau de minimiser leur rôle dans l’organisation hospitalière, les biochimistes cliniques québécois

  • font partie d’un syndicat professionnel dûment reconnu aux fins de négociations
  • forment un groupe de professionnels de formation postdoctorale et détenteurs d’une spécialité professionnelle reconnue tant au Québec qu’à travers le Canada.
  • occupent une place dans l’organigramme hospitalier
  • peuvent agir comme directeur d’un service ou département de biochimie clinique.

Relations avec les médecins biochimistes

La pratique de la biochimie clinique diffère au Québec par rapport aux autres provinces canadiennes.  Une différence fondamentale vient de la présence beaucoup plus importante au Québec de médecins biochimistes.  Les statistiques de l’Association médicale canadienne indiquent que 98 médecins biochimistes étaient inscrits à leur tableau en 2019, dont près des deux tiers (61) au Québec seulement.  Cette différence provient du statut de rémunération particulier des médecins biochimistes du Québec : contrairement aux autres provinces où les biochimistes cliniques et médicaux émargent au budget de chaque hôpital, au Québec, les médecins biochimistes sont rémunérés via le budget de la Régie de l’Assurance maladie du Québec (RAMQ).  Au contraire des biochimistes cliniques, la présence ou non d’un ou plusieurs médecins-biochimistes n’a donc aucun impact identifiable sur la masse salariale de l’Institution.  Bien que rémunérés beaucoup plus généreusement que les biochimistes cliniques, les institutions ont profité à certaines périodes du remplacement « économique » d’un biochimiste clinique par un médecin biochimiste.

Il faut rappeler qu’historiquement les relations entre les deux groupes de professionnels étaient adéquates.  Il y avait un médecin biochimiste (Maurice Bélanger) lors de la fondation de la première Association de biochimistes des hôpitaux du Québec en 1958.  De nombreuses activités scientifiques ont réuni des membres des deux groupes tant au niveau du contrôle de la qualité que des activités scientifiques (SQBC).  La création à la fin des années 1960 d’une association professionnelle de médecins biochimistes (AMBQ) a certainement augmenté le niveau de compétition entre deux groupes de force inégale tentant d’occuper le même territoire.

Parmi les irritants (autres que le niveau de rémunération) rapportés entre 1970 et 1990, mentionnons :

1981 – Démarches du Collège des médecins pour modifier l’appellation « biochimiste clinique » pour éviter toute confusion avec les médecins biochimistes.  Des termes comme chimie hospitalière ou encore chimie de la santé et chimie clinique ont alors été proposés par le Président du Collège des médecins de l’époque.

1982- Vives controverses entre les deux associations concernant l’annexe 2 -Services professionnels en biochimie clinique présenté par la SQBC sur la Politique d’accès aux services de laboratoire pour la clientèle du réseau public des Affaires sociales.

1988 – Opposition des regroupements médicaux à la Loi 102 qui confirmait le statut des biochimistes cliniques dans l’organisation des départements cliniques.

1988- Démarches du Collège des médecins, de l’Association des médecins biochimistes et de l’Association des Conseils de médecins, dentistes et pharmaciens des hôpitaux pour empêcher les biochimistes cliniques d’être membres en règle des CMDP.

1990- Démarches par le Collège des médecins et l’Association des médecins biochimistes pour empêcher que les biochimistes cliniques utilisent le titre de Docteur, ajoutent les lettres C.S.P.Q à la suite de leur nom et utilisent le mot « résident » pour les étudiants au programme postdoctoral en biochimie clinique.

1980-2000

Pendant une longue période de redressement budgétaire dans les hôpitaux québécois, plusieurs postes de biochimistes cliniques ont été fermés et ces derniers remplacés par des médecins biochimistes.  Cette manœuvre permettait aux administrations hospitalières de réaffecter le salaire des biochimistes cliniques au budget général de l’institution.  Plus d’une dizaine de postes de biochimistes cliniques auraient été perdus pendant cette période.

Une session de formation continue de l’ABCQ en 2011 a porté sur les difficultés rencontrées par l’ABCQ depuis sa fondation 30 ans plus tôt.  Un document intitulé « Le biochimiste clinique dans son hôpital et Histoire de l’ABCQ » par Jean Pinard et Hélène Leblanc a été produit à cette occasion (12).   La lecture de ce document est à la fois instructive et terriblement frustrante…

Note : Une exception à la règle?

Malgré les différends qui ont opposé les Associations respectives de médecins biochimistes et biochimistes cliniques au cours des années, je me dois de mentionner mes 25 ans de collaboration étroite, égalitaire et amicale avec François Lessard, un médecin biochimiste.

 

Département de biochimie de l’U. de M.

La toute première étape menant à la création du programme d’études postdoctorales en biochimie clinique (DEPD) a été la formation même d’un département moderne de biochimie.  Jusqu’en 1964, l’enseignement et la recherche en biochimie à l’U. de M. ont relevé à la fois des Facultés de pharmacie, de médecine et des sciences.  Dès 1935-36, la Faculté de pharmacie offrait une licence et un M.Sc. en chimie.  Au début des années 1950, la Faculté de médecine offrait un programme de chimie physiologique alors que la Faculté des sciences ajoutait à partir de 1955 une option biochimie à son programme de biologie.  C’est sous la direction de Walter Verly qu’à partir de 1964 fut réorganisé le Département de biochimie tel que nous le connaissons aujourd’hui.  L’administration et les études graduées incluant le futur programme de DEPD relèvent depuis de la Faculté de médecine alors que les étudiants sous-gradués relèvent de la Faculté des sciences (10).

La participation de biochimistes cliniques aux activités du Département de biochimie, entre autres de Guy Letellier (professeur titulaire 1987-1994) et Réjean Daigneault (titulaire 1983, directeur du Département universitaire, 1983-1989) et quelques autres  pavera la route au développement du DEPD en biochimie clinique.   C’est pendant que Réjean Daigneault dirigeait le département universitaire que fut formé en 1988 le comité qui allait déterminer les fondements académiques et réglementaires du DEPD.  La première réunion regroupait Réjean Daigneault, Guy Brisson de l’Hôpital Sainte-Justine, Edgar Delvin, président de l’Ordre des chimistes et moi-même alors en poste à l’Hôpital Saint-Luc.

La création de la spécialité en biochimie clinique par l’OCQ en 1984 spécifiait que les candidats à la certification devaient réaliser un stage d’un an en milieu « approuvé » avant de se présenter pour un examen oral de certification.  Cette réglementation faisait malheureusement de la formation des biochimistes cliniques québécois la plus courte d’Amérique du Nord!  Par comparaison, la formation obligatoire des biochimistes cliniques certifiés par l’Académie canadienne de biochimie clinique (CACB/ACBC) était de deux ans dans un programme de formation postdoctorale accrédité et au moins 6 mois d’expérience dans un laboratoire approuvé suivi de 2 examens écrits de 3 heures tenus le même jour et portant sur les aspects analytiques et cliniques de la profession.  Ces examens étaient suivis un an plus tard par un examen oral.

Le nouveau programme devait donc minimalement porter la formation d’une à deux années.  Il fallait toutefois tenir compte que toute modification aux règlements concernant la Spécialité en biochimie clinique de l’Ordre des chimistes (OCQ) nécessite une modification législative à être votée par les élus à l’Assemblée nationale.  La « simple » modification de porter d’un an à 2 ans la formation postdoctorale n’était définitivement pas à l’horizon.  Il fut donc décidé d’ajouter à l’année de stage requise par l’OCQ, l’équivalent d’une année de formation théorique de niveau postdoctoral (30 crédits de cours obligatoires et à option) répartis sur 2 ans pendant lesquelles les stagiaires résidents devaient être présents dans leur milieu de stage.

Une des conditions du Département de biochimie de l’U. de M. était que ces 30 crédits académiques ne devaient pas représenter de dépenses supplémentaires au Département (les études de niveau postdoctoral ne donnent droit à aucune subvention gouvernementale).  Cet objectif fut réalisé grâce à la participation bénévole de plusieurs biochimistes cliniques et médecins professeurs de clinique.  Au cours des premières années, la moitié des crédits obligatoires provenaient de la participation des stagiaires postdoctoraux à la formation clinique des internes en endocrinologie, gastroentérologie, hépatologie et néphrologie.  Le reste des crédits obligatoires portant sur des sujets spécifiques de biochimie clinique était assuré par des biochimistes cliniques en poste dans les hôpitaux de Montréal.  Le programme a adopté le syllabus de la SCCC comme modèle et sa direction pédagogique s’est assurée depuis que tous les aspects en sont couverts, soit via le stage, soit par les cours obligatoires et à option ou encore la rotation des stages entre différents hôpitaux.

Les huit premiers étudiants ont été admis au programme de DEPD en 1990.  J’ai assumé la direction du programme de sa fondation jusqu’en 1998.  Bernard Vinet a par la suite assumé la relève de 1998 à 2007 et était en poste pour les deux premières visites d’agrément par l’ACBC avant de passer le flambeau à Roger Sanfaçon qui sera lui-même suivi par Pierre Allard, Jean-Pierre Émond et Carine Nyalendo.

Pendant les 11 premières années du programme, il n’y avait aucun support financier pour les étudiants de niveau postdoctoral dont plusieurs avaient déjà des charges familiales.  Encore une fois, beaucoup de créativité a été requise pour faciliter la vie des candidats spécialistes, certains pas vraiment optimaux :  utilisation du reste des bourses de formation doctorale, le cas échéant, subventions provenant de chercheurs en échange de participation à leurs projets de recherche, fraction de salaire de poste de biochimiste non comblé, financement par l’industrie.  La situation fut régularisée en 1999 lorsque le ministère de la Santé s’est entendu avec les négociateurs de l’ABCQ pour octroyer 4 bourses par année à des candidats dans la première ou la deuxième année du programme.  C’est le Comité de biochimie clinique de l’Ordre des chimistes qui fut chargé de l’attribution de ces bourses.  Depuis sa fondation, le DEPD de l’U. de M. a complété la formation de plus d’une centaine de spécialistes en biochimie clinique.  À défaut d’avoir pu changer légalement la durée du stage, l’OCQ encourage désormais les candidats à s’inscrire au programme de DEPD pour faciliter la réussite aux examens de certification (12).   En combinaison avec l’harmonisation de l’OCQ et de l’ACBC c’est ce que fait la quasi-totalité d’entre eux.

 

La longue route pour la reconnaissance mutuelle et l’harmonisation

Une fois la spécialité légalement établie et la pérennité du programme de formation assurée, la prochaine étape de l’histoire de la biochimie clinique au Québec consistait à ce que cette formation soit jugée aussi bonne que celle des collègues du reste du Canada certifiés par l’ACBC.  Pour des raisons culturelles et linguistiques, les biochimistes cliniques francophones du Québec se sont peu intéressés à la pratique de la profession ailleurs au pays.  Jusqu’en 1995, le nombre de biochimistes cliniques francophones ayant réussi la certification canadienne se comptait sur moins de doigts qu’en compte une seule main.  La prochaine étape consistait donc à créer dans un premier temps un intérêt pour une reconnaissance canadienne.

Les 30 braves

Ce qui s’est produit au début des années 1990 alors que la jeune Académie canadienne cherchait à établir sa crédibilité d’un océan à l’autre.  Des collègues de l’Ouest du pays contestaient ouvertement la légitimité de l’Académie dans leur province alors qu’au Québec, la présence de l’OCQ rendait inutile le rôle de certification de l’Académie.  À la même époque, l’Académie changeait son règlement d’admission aux examens de certification :  dorénavant, il fallait obligatoirement que les candidats aient complété 2 années dans un programme dûment accrédité par eux.  Comme il n’existait aucun programme accrédité au Québec, ce changement de règlement empêcherait dorénavant tous les biochimistes cliniques du Québec, et particulièrement les nouveaux diplômés du programme de DEPD de se présenter pour ces examens et d’obtenir une certification canadienne.  Bien que tous les spécialistes en biochimie clinique du Québec qui en avaient fait la demande aient été admis par clause grand-père à titre de Founding Fellows de l’Académie, plusieurs, au Québec et dans le reste du Canada, considéraient ce Fellowship comme une reconnaissance de second ordre.

C’est alors que j’ai proposé à la direction de l’Académie (Peter Bunting) de me donner une dernière chance de convaincre les diplômés récents et quelques plus vieux de se présenter pour ces examens aux conditions suivantes :  les examens écrits de la partie analytique et de la partie clinique devaient se tenir à un an d’intervalle plutôt que la même année.  De plus, l’examen oral devait se dérouler en français, ce qui n’existait pas à l’ACBC à l’époque.  Comme il fallait s’y attendre, la proposition de présenter les deux examens écrits à 12 mois d’intervalle a été difficilement acceptée par certains membres de l’Académie qui considéraient cette pratique comme un affaiblissement de leurs critères.  La proposition fut cependant acceptée et une trentaine de braves se sont pointés pour compléter un long périple de 3 ans.  La moitié d’entre eux ont persévéré et se sont présentés et réussi leur examen oral pendant le congrès annuel de la SCCC à Halifax en 1997 (14).  De moins de cinq, l’Académie canadienne comptait désormais une vingtaine de fellows québécois pleinement certifiés, et ce n’était qu’un début.

Le mouvement était lancé et il fallait maintenant pouvoir offrir la même possibilité aux futurs diplômés du programme de formation de l’Université de Montréal.  Cette possibilité exigeait que le DEPD soit dûment accrédité par l’Académie, ce qui fut fait en 1998 et répété depuis avec succès.  En plus des examens de l‘OCQ, les diplômés québécois étaient toutefois tenus de passer les examens écrits et oraux de l’Académie.  Ceci est devenu rapidement paradoxal et vexatoire considérant que, grâce au travail de pionniers comme Wolfgang Schneider, Gaston Lalumière et Roger Sanfaçon les examens écrits de l’OCQ et les examinateurs de l’Ordre étaient les mêmes que ceux de l’Académie depuis 1997, les examens oraux identiques à compter de 2000! (15)

 

L’harmonisation

Les éléments semblaient alors en place pour permettre à un groupe dirigé par Jean-Pierre Émond de passer à l’étape ultime, soit la reconnaissance mutuelle des formations et de l’expertise par les deux groupes (16).  Rappelons encore une fois que toute modification aux modalités de la spécialité en biochimie clinique doit être acceptée par des changements législatifs de l’Assemblée nationale du Québec, un processus beaucoup plus long, soumis aux aléas des élections à tous les 4-5 ans, et conséquemment moins souple que dans le reste du pays.  .  Il faudra, pour y parvenir, la participation étroite du Comité de biochimie clinique de l’OCQ dont la présidence fut pendant plusieurs années assumée par Marie-Josée Champagne, en plus des autres acteurs déjà nommés intervenant soit au nom de l’OCQ, du programme de l’Université de Montréal et du comité de certification de l’ACBC.

Les changements législatifs à la Loi des chimistes professionnels n’auront jamais lieu.  C’est en vertu de l’Accord de 2009 sur la mobilité de la main-d’œuvre professionnelle (ACI) entre les provinces canadiennes que l’Office des professions du Québec dont relève légalement l’OCQ a finalement confirmé en 2011 que le projet d’entente entre l’Académie canadienne et l’Ordre des chimistes ne requérait pas de modification législative particulière et par conséquent était donc officiel à compter de la date de signature (17).

C’est ici que je termine ma petite histoire de la biochimie clinique au Québec en espérant que j’ai pu rendre hommage à tous ceux qui ont donné tant d’énergie et de temps pour que soient reconnus à leur juste valeur, autant par le Gouvernement du Québec que par le reste du Canada, les biochimistes cliniques du Québec.  Et je sais au moment d’écrire ces lignes que d’autres devront s’impliquer encore et encore pour maintenir cette reconnaissance.

Lire la 1ere partie

 

Références

  1. Pinard, H. Leblanc. Le biochimiste clinique dans son hôpital et Histoire de l’ABCQ.  Formation continue de l’Association des Biochimistes Cliniques du Québec, mai 2011.
  2. Ordre des chimistes du Québec. Devenir biochimiste clinique https://www.ocq.qc.ca/candidats/biochimie-clinique/ Consulté le 15 novembre 2023.
  3. Lepage. “The 30 intrepid from Quebec”.  CSCC News, Mars 2012.
  4. Schneider. “Harmonizatin: A Bit of CACB History.  CSCC News Mars 2012.
  5. P. Émond. Il était une fois… CSCC News Mars 2012.
  6. -J. Champagne. Historique Harmonisation.  CSCC News, Mars 2012