Auteur: Raymond Lepage, Ph.D, Vulgarisateur scientifique, Biron Groupe Santé, Brossard, QC
Après le Vietnam et l’Autriche, la France (2022) et l’Allemagne (2023), la liste des pays décidant de bannir le glyphosate ou à tout le moins d’en limiter considérablement l’utilisation s’allonge régulièrement. Début Septembre 2019, la ville de Montréal s’ajoutait à cette liste et s’engageait à interdire l’utilisation du glyphosate sur l’ensemble de son territoire avant la fin de l’année 2019 (reporté depuis à fin 2021) (1). Au début du mois de juillet 2020, c’est la ville de Québec qui promettait à son tour “dans la mesure du possible” d’emboîter le pas (2). Pendant ce temps, les autorités canadiennes après révision du dossier en 2017 ont maintenu l’autorisation du produit au-delà de 2030! (3) Voici quelques informations permettant de comprendre un peu mieux la situation concernant cet herbicide.
Qu’est-ce qu’un herbicide?
Par définition, un herbicide ou désherbant est un produit qui détruit les herbes, plus spécifiquement les “mauvaises herbes”. Certains herbicides sont totaux, c’est à dire qu’ils vont tuer tous les végétaux, utiles et nuisibles. D’autres herbicides sont sélectifs et vont nous débarrasser seulement des herbes “nuisibles” sans affecter les herbes utiles. Les herbicides sélectifs sont préférés en particulier dans l’entretien des pelouses ou encore le contrôle des mauvaises herbes dans le jardin. Les herbicides totaux sont plutôt utilisés dans l’agriculture pour préparer la terre ou faciliter les récoltes et en foresterie et en sylviculture comme débroussaillants pour faciliter la pousse et la collecte du bois.
Il existe des herbicides naturels simples comme le sel de table et le vinaigre pour usage domestique dans le jardin ou encore pour éliminer la pousse d’herbes entre les dalles d’un patio. Ces herbicides inoffensifs sont cependant de peu d’utilité en agriculture sur de grandes surfaces ou en foresterie.
Qu’est-ce que le glyphosate
Le glyphosate mieux connu sous sa marque de commerce originale « RoundUp » est un herbicide total mis au point il y a une quarantaine d’années par la multinationale Monsanto (propriété depuis 2016 du géant Bayer). Disponible au Canada dans près de 200 produits dont plusieurs dizaines de produits pour usage domestique (Weed-Master, Wipe Out, etc.), le glyphosate est l’herbicide le plus utilisé au Canada (4).
Comment agit le glyphosate
Le glyphosate empêche la croissance de tous les végétaux naturels (par opposition à certains végétaux modifiés génétiquement) en bloquant l’ EPSP synthase (5-énolpyruvylshikimate–3-phosphate synthase), une enzyme impliquée dans la synthèse de la phénylalanine, de la tyrosine et du tryptophane, trois acides aminés essentiels à la survie de la plante. L’enzyme végétale affectée par le glyphosate n’existe pas chez l’animal ou chez l’homme. Théoriquement donc, le glyphosate a une faible toxicité humaine, d’où son homologation dans les années 70 au Canada et un peu partout dans le monde.
Présentement, selon Santé-Canada, le glyphosate est homologué jusqu’en 2032 pour «… être utilisé sur une grande variété de sites, y compris les cultures terrestres d’aliments destinés à la consommation humaine ou animale, les cultures terrestres et de fibres non destinées à la consommation humaine ou animale, et la gestion des mauvaises herbes en milieu non agricole, industriel et résidentiel pour les sites destinés à usages non alimentaires, les forêts et les terres à bois, les plantes ornementales extérieures et le gazon » (3).
Problèmes soulevés avec le glyphosate
Avec les années, l’utilisation du glyphosate a considérablement augmenté par la combinaison de plusieurs facteurs dont deux très importants: l’introduction de végétaux modifiés génétiquement pour résister à l’herbicide et l’utilisation de plus en plus généralisée du glyphosate au moment des récoltes.
Introduction de végétaux modifiés génétiquement pour résister à l’herbicide
Comme le glyphosate tue tous les végétaux, utiles ou nuisibles, Monsanto a mis au point des semences modifiées génétiquement (OGM) pour résister à l’action de leur propre herbicide. L’introduction de maïs, du canola et du soja transgéniques au début des années 1990 a créé une véritable révolution dans le monde agricole et on estime qu’en 2018 au Québec, les cultures OGM représentaient plus de 88% des cultures de maïs, 71% de celles du soja et plus de 90% de celles du canola, une progression extraordinaire en moins de 30 ans! (5) Quelles que soient les décisions des gouvernements concernant l’utilisation d’herbicides sur leur territoire, il ne sera définitivement pas facile de « sevrer » les agriculteurs de semences OGM à grand rendement et de glyphosate dans leurs champs. Déjà la France promet d’interdire le glyphosate, mais seulement lorsque des alternatives auront été trouvées (6). Plus près de nous, François Legault, premier ministre du Québec bien que sensible aux dangers potentiels du glyphosate va « …consulter les agriculteurs aussi parce qu’il y a une question de productivité, de compétitivité avec les agriculteurs qui sont de l’autre bord de la frontière… Donc ce n’est pas un sujet qui est simple » (7).
Utilisation de plus en plus fréquente du glyphosate au moment des récoltes
L’autre problème important avec le glyphosate concerne sa présence dans l’alimentation. Avant l’introduction des semences OGM, le glyphosate était essentiellement utilisé pour tuer les mauvaises herbes pendant la saison morte, entre la récolte d’une année et les semis de l’année suivante. Il y avait donc en principe une contamination minimale des aliments exposés au glyphosate au moment de leur récolte, plusieurs mois plus tard. L’introduction des semences OGM a cependant encouragé l’utilisation du glyphosate tout au long de leur croissance. On utilise maintenant le glyphosate juste avant la récolte, non seulement des plants OGM mais également de plusieurs autres cultures pour accélérer leur murissement, les assécher et faciliter leur ramassage (8). Cette pratique augmente inévitablement les taux de glyphosate dans notre nourriture.
En 2015/2016, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) a détecté des traces de glyphosate dans environ le tiers des 3200 produits alimentaires qu’elle a testés (9).
Selon l’agence, à peine 1,6% des échantillons testés contenaient toutefois des taux de glyphosate supérieurs à la limite maximale autorisée, mais même dans ce cas, la contamination ne représenterait aucun danger pour la santé humaine (10).
Pourquoi vouloir bannir le glyphosate?
Depuis 2015, l’organisation mondiale de la Santé (OMS) classe le glyphosate dans le groupe des agents cancérogènes probables (11). C’est beaucoup sur la base de cette recommandation que plusieurs pays ont ou se préparent à bannir ou à considérablement limiter l’utilisation de l’herbicide de Bayer-Monsanto.
Les Monsanto Papers
Un autre facteur qui a contribué à alimenter les craintes soulevées dans le public par le glyphosate sont les efforts constants de Monsanto pour défendre l’innocuité de leur produit vedette. Des pratiques douteuses dont celle du « ghost writing » (études réalisées par Monsanto et contresignées moyennant finance par des scientifiques n’y ayant pas participé, etc.) ont été dévoilées au cours de deux procès intentés par des agriculteurs américains atteints d’une leucémie qu’ils attribuent au glyphosate. On a donné le nom de « Monsanto Papers » à ces documents internes de Monsanto (12).
Fait à noter, si ces documents soulèvent de nombreux doutes auprès de gouvernements surtout européens, il n’en est pas de même au Canada. Suite à une demande de réexaminer l’homologation de 15 ans du glyphosate en 2015, Santé Canada a conclu au début de 2019 que «…les arguments des groupes de pression n’étaient pas fondés scientifiquement à 100 % et que, par conséquent, le ministère maintenait l’homologation du glyphosate (jusqu’en 2032)» (13). Cette prolongation de l’homologation du glyphosate fait présentement l’objet d’une contestation devant la justice canadienne (14)
Est-ce que le glyphosate cause le cancer? Pour l’OMS, la question semble au moins en partie « réglée » depuis 2015 avec l’addition du glyphosate à la liste des cancérogènes probables (groupe 2a) mais, « détail » significatif, pas dans le groupe 1 des cancérogènes avérés (11). Pour Bayer-Monsanto, ce « petit détail » est une question de plusieurs milliards de dollars! Bayer-Monsanto qui s’était pourvu en appel de deux jugements américains la condamnant à verser plusieurs centaines de millions de dollars à deux victimes présumées du RoundUp (15) vient cependant de lâcher un peu de lest en offrant une compensation de 10 milliards de dollars à des plaignants américains, sans toutefois reconnaître la nocivité de leur herbicide (16).
Entretemps, il ne fait plus de doute que compte tenu du degré de son utilisation, un peu de glyphosate va se retrouver dans nos assiettes et par la suite dans nos urines. Avec l’amélioration des techniques de détection, il faut s’attendre à en retrouver des traces chez un nombre croissant d’individus, même s’ils évitent scrupuleusement les aliments OGM (17).
Faire doser son glyphosate urinaire?
Bien que le dosage soit disponible dans certains laboratoires spécialisés utilisant la spectrométrie de masse, on ne dispose pas actuellement de techniques facilement accessibles et fiables pour le dosage dans la population générale. De plus, on ne dispose pas encore de critères pour interpréter les résultats. Quel taux est négligeable, quel taux est suspect? Comme il n’y a pas non plus de traitement pour neutraliser ou faire baisser les taux de glyphosate, le dosage demeure actuellement utile chez les individus exposés de façon régulière à du glyphosate concentré afin surtout de les aider à améliorer leurs techniques de protection individuelle.
Conclusion
Est-ce que ces traces de glyphosate peuvent causer un cancer, le Parkinson ou une autre maladie à développement lent? La réponse est loin d’être claire. En attendant une réponse plus définitive, plusieurs pays, municipalités et groupes environnementalistes optent entretemps pour que soit au moins appliqué le sage principe de précaution. Pour le grand public, ce principe voudrait que l’on cesse au moins d’utiliser le RoundUp à des fins domestiques et dans toute situation où on dispose de produits de remplacement reconnus sans danger. La consommation d’aliments bio peut également aider à diminuer l’exposition au produit.
Article tiré et adapté de https://www.biron.com/fr/actualites/science/le-glyphosate-dans-votre-assiette/
Références
- https://www.tvanouvelles.ca/2019/09/05/montreal-va-interdire-le-glyphosate-sur-son-territoire
- https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1717227/ville-quebec-interdiction-restriction-glyphosate-roundup
- https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/securite-produits-consommation/rapports-publications/pesticides-lutte-antiparasitaire/decisions-mises-jour/decision-homologation/2017/glyphosate-rvd-2017-01.html#a4.
- https://www.carexcanada.ca/fr/profile/glyphosate/
- http://www.ogm.gouv.qc.ca/ogm_chiffres/importance_cultures.html
- https://www.lemonde.fr/europe/article/2017/11/27/la-commission-europeenne-autorise-l-utilisation-du-glyphosate-jusqu-en-2022_5221037_3214.html
- https://www.tvanouvelles.ca/2019/09/05/pesticides-et-autisme-grave-et-inquietant-dit-francois-legault-1
- https://www.glyphosateeu.fr/applications-en-prerecolte-pour-le-controle-des-mauvaises-herbes-et-la-dessiccation.
- https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1063232/cinq-questions-glyphosate-pesticides-herbicides-monsanto.
- http://www.inspection.gc.ca/aliments/residus-chimiques-microbiologie/bulletins-d-enquete-sur-la-salubrite-des-aliments/2017-04-13/sommaire/depistage-du-glyphosate/fra/1491846907641/1491846907985
- https://www.iarc.fr/wp-content/uploads/2018/07/MonographVolume112-1.pdf
- https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/08/11/les-monsanto-papers-a-la-base-de-la-controverse-sur-le-glyphosate_5341505_3244.html
- https://www.laterre.ca/actualites/environnement/sante-canada-maintient-lhomologation-du-glyphosate
- https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1499032/glyphosate-sante-canada-contestation-cour-federale-safe-food-matters
- https://www.lapresse.ca/affaires/entreprises/201811/20/01-5204996-monsanto-fait-appel-de-sa-condamnation-dans-le-proces-roundup.php
- https://www.lapresse.ca/affaires/entreprises/2020-06-24/roundup-bayer-indemnisera-les-plaignants-americains-a-hauteur-de-10-milliards
- https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2020-06-17/un-pesticide-jusque-dans-votre-urine