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Un regard sur le futur : Des miARNs comme biomarqueurs pour la maladie du greffon contre l’hôte (GVH)

Auteur: Elie Kostantin, Résident au diplôme d’études postdoctorales en biochimie clinique, Hôpital Maisonneuve-Rosemont


Introduction sur les microARNs

Depuis plus de 30 ans, la recherche fondamentale concernant le domaine de l’ARN a connu une croissance exponentielle. En effet, la découverte des microARNs (miARNs) en 1993 par Ambros et coll. a engendré l’identification de milliers de différents miARNs dont une centaine détectables cliniquement dans des biopsies et autres liquides biologiques (1-4). Ces miARNs sont des petites molécules d’ARNs à simple-brin dérivées de fragments et repliées en tige-boucle d’origine nucléaire (2). Le traitement nucléaire des miARNs commence généralement avec un transcrit de quelques milliers de nucléotides et se termine avec un miARN mature à double-brin d’environ 22 nucléotides  (5). Leur action est principalement médiée par leur interaction avec l’extrémité 3`non-transcrite des ARNs messagers, ce qui mène ultimement à l’inhibition de la traduction de ces fragments (6). De plus, l’affinité des miARNs envers leurs cibles n’est pas complète, ce qui permet à certains d’entre eux de réguler jusqu’à une centaine d’ARN messagers à la fois (7). Il est maintenant bien établi que ces petits fragments d’ARNs jouent un rôle important dans la régulation de la traduction de protéines impliquées dans divers mécanismes cellulaires tel que la différentiation, l’apoptose, l’angiogenèse et les fonctions du système immunitaire (8).

La dérégulation des miARNs dans diverses maladies humaines a permis de les catégoriser comme une nouvelle classe de biomarqueurs. En effet, Lawrie et coll. furent les premiers à mettre en évidence leur rôle de marqueur diagnostic non-invasif en détectant ces petits ARNs circulant dans le sang de patients atteint de lymphome à cellules B (9).  Plusieurs découvertes ont suivi par la suite et des miARNs ont même pu être détectés, à des concentrations variables, dans diverses matrices biologiques que nous utilisons quotidiennement dans nos laboratoires tel que l’urine, le liquide céphalo-rachidien et la salive (10). Il est cependant surprenant d’être en mesure de détecter ces potentiels biomarqueurs dans le sang puisque cette matrice est connue pour contenir des ARNases actives ayant le potentiel de les dégrader très rapidement. En réponse à ce dilemme, des études subséquentes ont révélé que les miARNs peuvent s’évader de ces enzymes en se liant à des protéines circulantes tel que l’Argonaute-2 ou dans des exosomes, de petites vésicules à double membrane lipidique de 40-100 nm (11-13).

 

La maladie du greffon contre l’hôte (GVH)

Bien qu’il y ait eu des progrès significatifs dans le domaine de la thérapie ciblée pour de nombreux troubles hématologiques et immunitaires malins et non malins, la greffe de cellules souches hématopoïétiques (GCSH) allogénique offre toujours la plus grande chance de guérison (14). Plus précisément, les greffes de cellules souches allogéniques offrent un avantage particulier grâce à la réaction du « greffon contre tumeur » qui contribue ultimement à éliminer les cellules malignes résiduelles (15, 16). Cependant, la maladie du « greffon contre l’hôte » (GVH) reste une complication majeure de la GCSH allogénique qui affecte divers organes chez 30 à 75% des patients. Elle est diagnostiquée sur des bases cliniques à l’aide de biopsies tissulaires lorsque cela est possible (17). La maladie de la GVH peut être classée en 2 catégories : aiguë ou chronique (18). La forme aiguë survient traditionnellement au cours des 100 premiers jours à la suite d’une greffe tandis que la forme chronique apparaît plus tardivement. Les principaux organes atteints lors de la maladie de la GVH sont la peau, le système digestif et le foie avec des signes cliniques de rougeurs cutanées, une atteinte digestive et de la jaunisse (19).

La compréhension actuelle de la maladie de la GVH aiguë repose principalement sur une réponse des lymphocytes T provenant d’un donneur contre les organes de l’hôte (20, 21). Une illustration détaillée du mécanisme d’activation des lymphocytes T en réponse à la maladie de la GVH a déjà été publié dans une revue écrite par Peltier et coll.  (22). De façon brève, les cellules présentant les antigènes et les lymphocytes T du donneur sont recrutées et activées via des cytokines inflammatoires. Cela conduit à la prolifération des lymphocytes T qui sécrètent des cytokines associées à une réponse Th1 comme l’IL-2 et l’IFN-γ, ce qui augmente encore les dommages cytotoxiques aux organes de l’hôte (23).  Heureusement, l’attention s’est récemment tournée vers l’implication de divers miARNs en tant que biomarqueurs potentiels de la maladie de la GVH après GCSH allogénique (22, 24, 25).

 

Des biomarqueurs pour la GVH aiguë

La définition actuelle de l’Organisation Mondiale de la Santé d’un biomarqueur est : « Toute substance, structure ou processus qui peut être mesuré dans le corps ou ses produits et influencer ou prédire l’incidence ou l’issue d’une maladie » (26). Des études pour identifier des biomarqueurs spécifiques à la maladie de la GVH aiguë ont permis de découvrir des marqueurs potentiels, mais aucun n’est actuellement utilisé dans la pratique clinique (27, 28). Dans le domaine de la GVH chronique, la recherche sur les biomarqueurs progresse beaucoup plus lentement en raison de l’hétérogénéité de la présentation clinique, de la variation du temps d’apparition, du besoin plus long de suivi des patients et de la difficulté à générer des modèles animaux (29). Les biomarqueurs les plus prometteurs actuellement sont des miARNs circulants et sont présentés en détail dans la revue de Newmarch et coll., article publié par l’équipe de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont (30).

Dans une étude de 64 patients, Xie et coll., ont trouvé une augmentation significative de l’expression du miR-155 dans le sérum des patients atteints de la GVH aiguë par rapport aux patients non-GVH. Les niveaux d’expression du miR-155 corrélaient également avec la gravité de la GVH et étaient associés à une augmentation des niveaux d’IFN-γ, d’IL-17 et d’IL-9 (31). C’est donc sans surprise qu’une étude clinique américaine (NCT01521039) est présentement en recrutement pour déterminer les niveaux du miR-155 dans le temps chez les patients atteint de GVH aiguë post greffe (32).

D’autre part, Sang et coll. ont constaté que les taux plasmatiques de miR-181a étaient significativement réduits avant le début de la GVH aiguë pour 19 patients sur 22 (86%) et une corrélation significative entre la réduction de l’expression et la gravité de la maladie a été notée (33). De plus, en utilisant le profilage NanoString  des miARNs chez 11 patients adultes après GCSH allogénique, Crossland et coll. ont rapporté une régulation à la baisse significative de miR146a, miR-30b-5p, miR-374-5p et miR-181a et une régulation à la hausse de miR-20a et 15a (34). Parmi ces corrélations significatives, miR-30b-5p, miR-374-5p et miR-15a avaient une utilité diagnostique pour la GVH aiguë (aire sous la courbe (ASC) 0,75, 0,74 et 0,70 respectivement). En outre, miR146a, miR-20a, miR-18a, miR-19a, miR-19b et miR-451 ont aussi été exprimés à des niveaux significativement plus élevés chez les patients qui ont développé par la suite une GVH aiguë par rapport à l’absence de GVH (34).

Zhao et coll. ont démontré des résultats pronostiques et prédictifs intéressants dans une étude prospective de 70 patients à différents moments avant et après GCSH. La sélection du miR-153-3p comme biomarqueur était basée sur la connaissance qu’il s’agit d’une cible pour l’indoleamine-2,3-dioxygénase (IDO), qui catalyse la première étape limitante du catabolisme du tryptophane, essentiel pour la prolifération des lymphocytes T (35). L’expression de l’IDO plasmatique était significativement corrélée à la fois à l’apparition et à la gravité de la GVH aiguë. Les niveaux plasmatiques de miR-153-3p au jour 7 après GCSH se sont avérés avoir une ASC de 0,887 avec une sensibilité de 74,3% et une spécificité de 80% pour prédire la GVH aiguë (35).

Finalement, le manque de reproductibilité entre les études de profilage doit être noté et met en évidence le degré élevé de variabilité constaté lors de la réalisation et de la conception de ces expériences. Comme Cheng et coll. ont rapporté, les conditions optimales de traitement des échantillons de sang pour la mesure des miARNs sont loin d’être standardisées. Leur contenu et leur concentration dans différentes matrices et méthodes de traitement peuvent varier considérablement (36). De nombreux autres facteurs, notamment la sélection des patients, la plateforme de profilage, les temps d’échantillonnage et les facteurs analytiques, influencent tous les résultats finaux.

 

Conclusions

Le développement d’outils diagnostics génère beaucoup d’enthousiasme dans le domaine des miARNs. Cependant, compte tenu des milliers de publications dans ce domaine, leur utilisation en tant qu’outil diagnostic peut encore être considérée à ses débuts (4). Cette réalité est également d’actualité dans le monde de la maladie de la GVH bien qu’ils soient impliqués dans diverses voies pathophysiologiques de la GVH. Leur utilisation en tant que biomarqueurs pour la GVH est encore en développement et nécessite une corrélation supplémentaire avec les voies mécanistiques, ainsi qu’une validation clinique robuste. Il est également nécessaire de normaliser les procédures de détection des miARNs, y compris les matrices (plasma vs sérum), ainsi que leur sélection spécifique afin de comparer correctement des résultats de différents groupes. La combinaison de miARNs avec d’autres marqueurs tels que les cytokines pourrait avoir un grand potentiel pour le diagnostic et le suivi de la GVH. En effet, cette approche combinée est présentement à l’étude à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont où une stratégie précoce et non-invasive permettant le diagnostic et pronostic du développement de la GVH dans le sang des patients post-greffe est en développement. Finalement, compte tenu des premières preuves de l’implication des miARNs dans la maladie humaine en 2002 et de leur première détection dans le sang en 2008, seulement une décennie plus tard, d’énormes progrès et efforts ont été faits pour amener ces petits ARNs du laboratoire au chevet du patient (9, 37). Et qui sait ce que l’avenir nous réserve !

 

Références :

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