Test Tubes on Pink Background

Il ne faut jamais faire les choses à moitié ou trop rapidement

Auteurs : Dany Arsenault, PhD. Résident en biochimie clinique, Université de Montréal et Dr Philippe Desmeules, Ph.D, DEPD, CSPQ. Biochimiste clinique, Service de Biochimie. Les Laboratoires médicaux de la Capitale Nationale et des Îles


Introduction

Les analyses de laboratoire sont incontournables à la médecine actuelle. Elles permettent de confirmer des diagnostics, d’évaluer des atteintes organiques, d’identifier des facteurs de risque, d’établir des pronostics, d’identifier des anomalies génétiques et plus encore. Ces techniques sont cependant sensibles à plusieurs éléments et des précautions particulières doivent être prises pour éviter de contaminer l’échantillon, de le dégrader ou d’introduire des molécules interférentes. Le prélèvement est également une étape cruciale du processus. Le remplissage adéquat du tube est un paramètre important du prélèvement et l’impact acceptable d’un tube partiellement rempli sur les résultats analytiques n’est pas bien connu. Certaines unités médicales sont particulièrement exposées à cette problématique. Par exemple, les départements de pédiatrie et d’oncologie doivent prélever chez une clientèle dont les vaisseaux sanguins sont souvent de plus petit calibre. L’utilisation d’une aiguille de plus petit diamètre entraîne une réduction de débit, ce qui conduit à un remplissage inadéquat du tube si le temps de collecte n’est pas ajusté en conséquence. Le flux de travail élevé et la criticité de certaines situations cliniques amènent souvent le personnel de l’urgence à réduire le temps de remplissage, ce qui augmente le risque qu’un tube soit inadéquatement rempli. Cette étude vise à déterminer les conditions de prélèvement susceptibles d’entraîner des remplissages insuffisants. Elle ouvre également la discussion sur les conséquences cliniques possibles pour le patient et explore des solutions visant à éviter les prélèvements en quantité insuffisante.

Procédures

Recrutement des participants pour les analyses de laboratoire

Le projet a été expliqué aux sujets et un consentement oral et écrit a été obtenu auprès des personnes qui ont accepté de fournir des échantillons supplémentaires. Les prélèvements ont été réalisés chez une même personne au même moment de la journée. Il s’agissait de volontaires technologistes de laboratoire.

Mesures biochimiques

Les analyses de cette étude ont toutes été réalisées sur un appareil à gaz sanguin de type ABL 800 de la compagnie Radiometer, utilisé au laboratoire de biochimie de l’IUCPQ. La matrice était du sang veineux et les échantillons ont été prélevés dans un tube de 6 mL contenant de l’héparine de lithium (numéro BD: 367878). Les analyses ont été réalisées selon les recommandations du manufacturier et du milieu hospitalier (IUCPQ).

Cinétique de remplissage des tubes

L’évaluation du temps de remplissage pour différentes combinaisons aiguille/tube a été réalisée en mesurant le remplissage d’un tube sous vide par une seringue de 10 ml préalablement remplie avec de l’eau. Aucune force n’a été appliquée sur le piston de la seringue, le vacuum du tube étant la seule force impliquée dans le transfert du liquide. Le remplissage des tubes a été quantifié suite à une analyse vidéo des séquences de remplissage et les temps nécessaires pour remplir les tubes à 25%, 50%, 75% et 100% ont été mesurés. Le tableau 1 présente la liste du matériel utilisé pour cette partie.

 

 

Résultats

Un remplissage insuffisant peut impacter les résultats de laboratoire

L’impact d’un remplissage partiel sur les résultats analytiques générés par appareil à gaz sanguin a été évalué par la mesure du biais entre la valeur d’un tube partiellement rempli à celle d’un tube plein selon la formule suivante :

Biais (%) = 100 * (valeur du tube incomplet – valeur du tube plein) / valeur du tube plein

Le biais a été évalué au niveau statistique et clinique. Un one sample t-test a été utilisé pour déterminer si le biais était statistiquement

différent de zéro alors que les données des tables de Westgard ont été utilisées afin de déterminer si le biais était cliniquement significatif. Les résultats démontrent qu’un remplissage de moins de 50% est à risque d’induire un biais statistiquement et cliniquement significatif pour plusieurs analyses (Tableau 2). Dans le cas du calcium ionisé, un remplissage de moins de 75% affecte statistiquement et cliniquement la valeur du paramètre. Finalement, la carboxyhémoglobine (COHb) est connue pour interférer avec les tubes d’héparine de lithium en plastique1. La relation inverse entre le remplissage du tube et le biais du COHb mesurée démontre que ces deux facteurs sont liés.

Il est intéressant de remarquer que la concentration d’unités d’héparine par volume n’est pas identique pour les différents formats de tubes de la compagnie BD (voir tableau 1). En fait, les tubes de 10 et de 6 mL sont moins concentrés en héparine (15,8 USP/mL) que les tubes à volume de 4 et de 2 mL (18,8 et 18,5 USP/mL respectivement). Par conséquent, il est très probable que l’effet de la liaison du calcium par l’héparine serait encore plus prononcé pour des tubes de format de 4 et de 2 mL qui seraient à moitié remplis ou moins. Il est donc important de mettre en place des règles spécifiques de conformité de remplissage adaptées aux tubes utilisés et ne pas considérer les tubes comme étant tous identiques.

 

La gauge de l’aiguille influence la vitesse de remplissage

Le temps de remplissage des tubes de prélèvement sous vide en fonction du diamètre interne de l’aiguille n’a jamais été clairement déterminé. Cette étude est l’une des premières à quantifier cette relation. Nos résultats démontrent un temps de remplissage fortement augmenté pour la gauge de 25G, comparativement aux gauges de 23G et 20G. L’étude comprenait six essais pour chaque combinaison de « tube – gauge d’aiguille » (figure 1). Le débit le plus rapide a été constaté pour la combinaison du tube de 10 mL avec l’aiguille de gauge 20G (débit d’environ 0,8 mL/s) et le plus lent avec la combinaison du tube de 2 mL avec une aiguille de gauge 25G (débit d’environ 0,03 mL/s). On peut donc remarquer que le temps de remplissage complet (ou total) pour le tube de 2 mL peut être aussi long que les temps pour remplir complètement un tube de 4 mL ou de 6 mL dans ces conditions!

 

 

La relation entre le temps de remplissage et le volume du tube s’avère non-linéaire

Nos résultats ont mis en évidence des temps similaires pour le remplissage des tubes de 2, 4 et 6 ml, alors que les temps pour les tubes de 10 ml étaient plus longs (figure 2). Les panneaux B, D et F présentent les dix premières secondes des tests de remplissage pour les différentes conditions testées. Le comportement non-linéaire du remplissage correspond bien à ce qui doit être observé pour le passage d’un liquide dans un tube, c’est-à-dire un comportement d’un fluide newtonien (loi de Poisseuille)3.

 

 

Discussion

Nos résultats démontrent qu’un remplissage inférieur à 75% peut affecter les résultats cliniques de certaines mesures biochimiques, tel le calcium. Le calcium varie peu physiologiquement et un

débalancement de ce dernier peut induire une multitude de symptômes. Par conséquent, le moindre biais est à risque d’induire des erreurs cliniques et engendrer des actions / examens inutiles. Il est à noter que le calcium total est aussi significativement diminué dans un tube hépariné contenant moins de 50 % du volume total (les résultats ne sont pas montrés ici). Globalement, lorsque le remplissage du tube est de moins de 50%, on constate que plus de la moitié des analyses effectuées sur l’ABL800 sont à risque d’être biaisées statistiquement et 5 des 7 paramètres dont une valeur de Westgard est documentée sont à risque d’être biaisées cliniquement. C’est-à-dire que le remplissage inadéquat du tube peut induire une erreur suffisante pour influencer l’interprétation clinique. Ces données confirment que le remplissage du tube est un facteur qui peut induire des erreurs cliniques et influencer les décisions cliniques. Cet aspect doit donc être considéré pour éviter de porter un préjudice au patient et, pour certaines analyses, il pourrait être raisonnable de refuser les tubes insuffisamment remplis.

L’une des problématiques précédemment rapportées est que le flux de travail de certaines unités limite le temps disponible pour prélever le sang des patients. Dans ce contexte, il devient impératif d’identifier les combinaisons « tube – gauge d’aiguille » qui permettent de prélever les patients dans un délai raisonnable et éviter les combinaisons dont le temps de remplissage est incompatible avec les services de l’unité médicale. À partir des résultats de la présente étude, nous avons élaboré des recommandations permettant d’identifier les combinaisons de « tube – gauge d’aiguille » permettant un remplissage de plus de 75% en 5 ou 10 secondes (Tableau 3).

 

 

Finalement, la grosseur des vaisseaux sanguins dans certaines circonstances peut être une problématique qui amène certaines unités médicales, comme la pédiatrie et l’oncologie, à utiliser des aiguilles de plus petit diamètre (25 G et 27G). Nos données démontrent qu’une gauge plus élevée (aiguille plus petite) allonge considérablement le temps de remplissage des tubes et, par conséquent, augmente le risque de recevoir des prélèvements sanguins en quantité insuffisante si le personnel qui prélève n’augmente pas le temps dédié au remplissage. En fait, bien souvent, les gens n’observent pas visuellement le niveau de remplissage mais accordent plutôt un temps arbitraire plus ou moins variable au remplissage de chaque tube. Par surcroît, utiliser un tube de plus petit format (ex. 2 mL au lieu de 6 mL) ne permet pas d’obtenir un % de remplissage adéquat plus rapidement. Nous suggérons alors de respecter le temps minimal recommandé (Tableau 4) ou idéalement d’attendre l’arrêt du remplissage (épuisement du vide). L’utilisation d’aiguille de type « thin wall » serait également une alternative intéressante. Ces aiguilles ont un diamètre extérieur équivalent aux aiguilles de format régulier mais un diamètre intérieur plus grand, ce qui facilite l’écoulement du sang dans le tube et réduit le temps de prélèvement. Le diamètre intérieur d’une aiguille 25G de type « thin wall » serait équivalent à celle d’une aiguille 24G4 ce qui pourrait permettre de prélever cette clientèle plus vulnérable dans un délai plus raisonnable.

 

 

Il faut noter que cette étude visait à mieux comprendre la relation complexe entre le taux de vide des différents formats de tubes, l’écoulement d’un liquide selon le diamètre interne des aiguilles et la distribution d’un liquide dans les différents volumes de tube pour en tirer des conclusions objectives. Évidemment, lors d’un prélèvement sanguin sur une personne, la pression sanguine et la composition du sang entrent en jeu mais n’effacera pas les principaux facteurs contributifs à la

cinétique des prélèvements qui sont le diamètre de l’aiguille et le taux de vide des tubes. En fait, l’écoulement du sang dans un tube est un cas complexe3 (comportement qui n’est pas typique d’un fluide newtonien) et il était nécessaire de débuter l’étude avec un liquide simple avant d’entreprendre ultérieurement des tests avec du sang. Dans ce cas, l’étude nécessiterait de contrôler l’hématocrite, la longueur des aiguilles, la température, la pression, etc… En l’occurrence, le sang étant un fluide non newtonien, sa viscosité va changer selon le diamètre de l’aiguille. En fait, lorsque le diamètre interne de l’aiguille va approcher 0,3 mm (25G; 0,232 mm), les globules rouges vont s’orienter axialement et voyager plus rapidement que le plasma qui lui se retrouve près des parois. Cet effet complexe sur l’écoulement dans les tubes serait très intéressant à étudier et à comparer aux résultats présentés ici.

En conclusion, le remplissage du tube est un paramètre préanalytique pouvant affecter cliniquement le résultat et ainsi porter préjudice aux patients. La standardisation des prélèvements implique donc de sensibiliser les préleveurs des unités médicales plus impactées et d’intégrer les bonnes pratiques de prélèvement dans les procédures transmises au personnel. En terminant, une meilleure compréhension de la cinétique de remplissage permet de faire des choix plus éclairés au plan des formats de tubes à privilégier et aussi des critères de volumes acceptables et réalistes à implanter au laboratoire. Un bon duo aiguille/tube est à privilégier.

 

Remerciements

Les auteurs remercient Dre Renée Guérin, biochimiste clinique, pour la révision scientifique du présent article. Nous tenons à remercier également les technologistes médicaux en biochimie de l’IUCPQ, Pier-Luc Laporte, Gino Bérubé et Mireille Genest pour l’aide dans la réalisation des analyses et le support à la réalisation des expériences. Finalement, merci à Sara-Édith Penney pour la révision de l’orthographe et de la grammaire.

 

Références