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Impact des indicateurs de la qualité : Exemple d’une analyse détaillée des temps de réponse analytiques du potassium

Auteurs : Audrey Champagne, Ph.D, résidente au DEPD en biochimie clinique et Philippe Desmeules, Ph.D, DEPD, CSPQ, biochimiste clinique, Grappe CN, Site IUCPQ-ULAVAL


Le laboratoire a pour mission de fournir aux patients des résultats précis et fiables dans un temps opportun. Le temps de réponse (TAT) analytique est défini par l’intervalle de temps entre le moment où les échantillons sont reçus au laboratoire et le moment où les rapports d’analyse sont validés et envoyés dans le système informatique du laboratoire. Alors qu’un TAT analytique de plus de 5 heures pour les tests non urgents ou de routine peut être considéré acceptable, l’étude Q-PROBES du College of American Pathologists définit une analyse urgente (STAT) comme une analyse dont le résultat doit être généré à l’intérieur de 60 minutes suivant sa prescription[1]. Ainsi, les objectifs de TAT sont établis en fonction du test prescrit, de son niveau d’urgence et de la provenance du patient. Les TAT constituent une mesure objective de la performance du laboratoire en regard des objectifs fixés. Ainsi, le suivi des TAT permet aux professionnels de s’assurer du bon déroulement des processus et de surveiller la mise en œuvre de mesures correctives, ce qui en fait un excellent indicateur qualité.

Dans ce contexte, l’analyse des données de TAT analytique de la grappe de la Capitale-Nationale pour deux analyses urgentes; la troponine et le potassium, a été effectuée pour le mois d’avril 2022. Une augmentation des TAT analytiques du potassium a été observée en avril 2022 à l’Institut Universitaire de Cardiologie et de Pneumologie de Québec (IUCPQ). Alors que depuis 2019, 90% des résultats de potassium étaient obtenus en moins de 23 minutes, les TAT analytiques ont grimpé de 27% pour atteindre 28 minutes en avril 2022 (Tableau 1).

[1] https://webapps.cap.org/apps/docs/q_probes/q-probes_definitions.pdf

 

 

À l’IUCPQ et dans plusieurs autres laboratoires du réseau, les tubes en provenance de l’urgence sont réceptionnés au laboratoire puis triés pour ensuite se faire centrifuger. Exceptionnellement, en contexte de COVID, les tubes sont également décontaminés avant de passer à la centrifugation. Une fois centrifugés, ceux-ci sont chargés sur les multianalyseurs Vista de Siemens où ils sont traités et les résultats sont ensuite envoyés dans l’intergiciel pour validation automatique ou manuelle, selon les règles préétablies, puis transmis au système informatique de laboratoire. Toutes ces étapes influencent le TAT analytique. Afin de comprendre l’augmentation des TAT analytiques observée en avril dernier, chacune d’entre elles a été décortiquée et investiguée.

Un possible goulot d’étranglement dû à une augmentation du volume de tubes réceptionnés a d’abord été recherché. Le nombre d’analyses de potassium en provenance de l’urgence en avril 2021 et 2022 est similaire; 1639 et 1759 analyses, respectivement (Tableau 1). Toutefois, cette compilation ne prend pas en compte toutes les demandes reçues au laboratoire. L’étude du flux de tous les tubes reçus au cours du mois démontre un pic de réception vers 7h (Figure 1A). Or, en comparant ce pic avec la distribution des TAT analytiques des tests de potassium (Figure 1B), celui-ci n’apparait pas influencer négativement la vitesse d’analyse des tubes en provenance de l’urgence qui varie indépendamment de ce facteur.

 

 

Les TAT analytiques obtenus pour la troponine démontrent une belle performance du laboratoire pour cette analyse alors qu’ils sont légèrement abaissés en avril 2022 comparativement à avril 2021 ; le 90e centile passant de 28 à 27 minutes (Tableau 1). Toutefois, les tubes en provenance de l’urgence sur lesquels des tests de troponine sont effectués peuvent être les mêmes ou suivent le même parcours que ceux sur lesquels les tests de potassium sont faits. Les étapes précédant le chargement aux multianalyseurs, peuvent ainsi être éliminées comme source d’augmentation du TAT analytique du potassium.

Une fois analysées, les valeurs de potassium dans l’intervalle de référence (3,3 – 5,3 mmol/L) sont habituellement validées automatiquement par l’intergiciel alors que les valeurs hors des valeurs de référence (VR) sont retenues par celui-ci pour validation manuelle. Compte tenu du temps technique nécessaire pour effectuer une validation manuelle, sortir un résultat hors des VR devrait être plus long que de sortir un résultat à l’intérieur de celles-ci. À la Figure 2A, aucune hausse du nombre de valeurs hors VR à valider manuellement n’est observée en avril 2022 par rapport à avril 2021.

La validation automatique des données à l’intérieur des VR devrait prendre environ le même temps, peu importe la valeur du potassium obtenue. Or, en séparant les résultats de potassium par rapport à leurs TAT analytiques, il est possible d’observer une élévation graduelle des temps de réponse avec l’augmentation des valeurs de potassium à l’intérieur des VR (Figure 2B). Cette augmentation suggère une possible rétention des résultats au sein de l’intergiciel lorsque les valeurs de potassium sont plus élevées.

 

 

Parmi les facteurs connus pour augmenter les valeurs de potassium, on compte l’hémolyse. Des règles dans les intergiciels permettent généralement de régir ce facteur en fonction de l’amplitude des indices d’hémolyse (H). Des changements dans celles-ci ont d’ailleurs été effectués en début d’année à l’IUCPQ lors de la mise en place d’un algorithme de gestion de l’hémolyse. Auparavant, seulement les résultats de potassium à l’intérieur des VR avec un indice H ≥ 6 (hémolyse élevée) devaient se retrouver en attente d’une validation manuelle. Or, tel que visualisé en gris à la Figure 3, dès qu’un indice H ≥ 3 est détecté, la totalité des résultats deviennent en attente de validation manuelle. En séparant les résultats d’indice H obtenus avec les analyses de potassium par rapport à leur TAT analytique, 90% des résultats avec des indices H ≤2 (traces d’hémolyse) sont libérés en moins de 23 minutes, alors que ce temps augmente à environ 40 minutes pour les indices H entre 3 et 4 (hémolyse légère) et jusqu’à 56 minutes pour les indices H ≥ 5 (hémolyse modérée à élevée, Figure 3). En fait, les résultats de potassium accompagnés d’un indice H de 3 et plus se retrouvaient alors fréquemment validés au moment où les résultats plus longs à obtenir des différentes analyses de la requête (i.e. immunoessais) devenaient disponibles en validation manuelle.

 

 

Le nombre de tubes avec un indice H de 3 ou 4 représente près de 12% des tubes contenant une analyse de potassium reçus en avril 2022. De cette portion, jusqu’à 97%, présentent des résultats à l’intérieur des valeurs de référence et qui auraient pu être validés de façon automatique. À lui seul, l’ajout des résultats de potassium à l’intérieur des valeurs de référence avec un indice H entre 3 et 4 génère une augmentation de près de 57% de résultats à valider manuellement (Tableau 2).

 

 

L’augmentation du nombre de résultats à valider manuellement en raison du changement de règles des indices H engendre donc une augmentation de la fréquence des TAT analytiques élevés ce qui produit une augmentation du 90e centile. Pour donner suite à ces observations, les règles d’hémolyse ont été revues afin d’inclure dans la validation automatique les résultats de potassium à l’intérieur des valeurs de référence ayant un indice H entre 3 et 4. Un commentaire rapportant l’hémolyse est alors ajouté automatiquement à la requête et les analyses affectées sont identifiées et accompagnées de commentaires sur les interférences positives ou négatives de l’hémolyse. Des vérifications ont également été faites pour déterminer si d’autres analyses ayant une possible interférence à l’hémolyse étaient retenues inutilement pour validation manuelle.

Cet exemple de suivi des TAT analytiques du potassium souligne l’importance des indicateurs de qualité et permet de mettre en lumière de possibles problèmes post-analytiques. En plus de compiler des indicateurs de la qualité, il est nécessaire d’identifier les causes et de prendre des actions permettant de corriger la situation afin de viser l’amélioration objective des processus du laboratoire.

 

Remerciements

Merci à Mme Sara-Édith Penney, M.Sc, pour le soutien à la révision linguistique. Merci à Dre Cassandra R Goulet, Biochimiste clinique, pour la révision scientifique de l’article.